« En Afrique, la Chine investit surtout dans les énergies fossiles et polluantes » (2024)

Cet article vous est offert

Pour lire gratuitement cet article réservé aux abonnés, connectez-vous

Se connecter

Vous n'êtes pas inscrit sur Le Monde ?
Inscrivez-vous gratuitement

  • Le Monde Afrique
  • Débats Afrique

Chronique

Sébastien Le Belzic chroniqueur Le Monde Afrique

Paradoxalement, Pékin est le premier investisseur mondial dans les solutions vertes et le plus gros pollueur de la planète, précise notre chroniqueur.

Publié le 04 février 2019 à 12h16 Temps de Lecture 5 min.

«En Afrique, la Chine investit surtout dans les énergies fossiles et polluantes» (1)

Chronique. Plus de la moitié des Africains n’ont pas accès à l’électricité. Ils sont même 63% dans les zones rurales d’Afrique subsaharienne à en être privés. Sur le continent, l’électricité coûte jusqu’à trois fois plus cher qu’en Europe ou aux Etats-Unis, expliquant en partie le retard de l’industrialisation. En raison de cette pénurie d’électricité, l’Afrique perdrait 2 à 4 points de croissance chaque année. A l’inverse, une électrification complète du continent entraînerait, selon les estimations, une hausse de sa croissance annuelle de 10 à 15% sur une période de quinze ans.

Lire aussi «Les champions chinois des télécoms ont jeté leur dévolu sur l’Afrique»

La Chine finance l’essentiel des nouvelles capacités de production d’électricité en Afrique subsaharienne. Entre 2014 et 2017, les banques chinoises ont financé en moyenne l’équivalent de 5milliards de dollars (4,3milliards d’euros) par an dans des projets de production d’énergie, faisant de Pékin le premier électricien du continent. Des investissem*nts qui ne font que croître à mesure que se construisent les infrastructures chinoises dans le cadre des «nouvelles routes de la soie». Ce projet titanesque, qui prévoit des routes, des ports, des chemins de fer et des zones économiques spéciales aux quatre coins de la planète, ne peut fonctionner sans énergie. Là encore, la Chine apporte des projets clés en main en finançant et construisant des réseaux électriques.

Double discours de Pékin

Mais au lieu de financer des projets verts, la Chine investit essentiellement dans des solutions fossiles et polluantes. Pourquoi? Car ces investissem*nts servent ses intérêts économiques en lui permettant d’exporter son charbon et sa technologie. Pékin est ainsi paradoxalement le premier investisseur mondial dans les énergies vertes et le plus gros pollueur de la planète. Son économie tourne encore largement au charbon, mais elle est devenue le plus gros producteur d’énergie propre du monde, investissant énormément dans le solaire, l’éolien, l’hydroélectricité…

A mesure qu’elle se verdit, la Chine a tendance à noircir le ciel de ses partenaires, à commencer par l’Afrique. Un quart des centrales au charbon dans le monde (hors empire du Milieu) sont aujourd’hui construites ou financées par des entreprises chinoises. L’essentiel du charbon servant à produire cette électricité viendra ou vient déjà de Chine. Le pays est en effet le plus gros producteur au monde de charbon et son industrie est en surcapacité. De moins en moins utilisé en Chine, car trop polluant, ce charbon servira ainsi à faire tourner les centrales africaines.

Lire aussi «L’Afrique devient un échiquier où les Etats-Unis et la Chine avancent leurs pièces»

Le dernier rapport de l’Institut d’analyses économiques et financières (IEEFA) pointe ce double discours de Pékin et les risques environnementaux inhérents au projet des «nouvelles routes de la soie». Il rapporte ainsi que plus de 21milliards de dollars (plus de 18milliards d’euros) ont déjà été prêtés par la Chine pour financer l’équivalent dans le monde de 30 gigawatts de capacité de production d’électricité par des centrales thermiques au charbon.

En Afrique du Sud, au Zimbabwe, au Kenya, en Tanzanie, au Ghana ou encore à Madagascar, la Chine construit des centrales thermiques, dont les deux tiers sont considérés comme «très dangereuses» ou «dangereuses» pour l’environnement, selon l’IEEFA. Au Kenya, au Ghana et en Côte d’Ivoire, la Chine finance et construit l’intégralité des centrales thermiques. C’est 75% en Afrique du Sud et au Zimbabwe.

Des centrales à charbon en construction

En Afrique du Sud, la Banque chinoise de développement a récemment conclu le financement de 4milliards de dollars pour la construction de deux grandes centrales à charbon, Kusile et Medupi. Au Zimbabwe voisin, quatre centrales à charbon sont en construction avec des prêts chinois, ce qui représente là encore 2milliards de dollars. Le Zimbabwe, qui dépense 5millions de dollars par semaine pour importer de l’électricité d’Afrique du Sud et du Mozambique, en a certes grand besoin, mais la solution aurait dû être plus verte.

Car, dans le même temps, la Chine exporte aussi ses technologies vertes comme les panneaux solaires et l’éolien, mais aussi les centrales hydroélectriques et même nucléaires. Mais le mix énergétique du continent, qui a un besoin criant d’électricité pour avancer, n’est pas en faveur du renouvelable. Les trois quarts de l’énergie produite en Afrique sont déjà d’origine fossile, émettant par conséquent des gaz à effet de serre.

Lire aussi «En Afrique, les partenariats public-privé sont beaucoup plus lucratifs pour Pékin»

Depuis 2009 pourtant, la Chine place systématiquement les énergies renouvelables dans ses priorités de coopération avec l’Afrique. En2009 déjà, le premier ministre Wen Jiabao avait lancé le plan «Cent centrales propres pour l’Afrique» et, lors du sommet Chine-Afrique de septembre2018, un forum sur l’énergie a été inauguré promettant toujours plus d’investissem*nts dans le renouvelable. Le pays joue les bons élèves dans les sommets internationaux et se vante d’être le plus important investisseur mondial dans les énergies renouvelables. Mais, en Afrique, c’est loin d’être le cas.

Le plus gros émetteur de gaz à effet de serre

On sait pourtant que revenir en arrière est difficile. Une fois qu’un pays est dépendant des énergies fossiles pour son électricité, il est très compliqué et coûteux d’assurer une transition énergétique. L’Europe en sait quelque chose. La Chine aussi qui, malgré ses investissem*nts massifs dans ce domaine, reste très dépendante du charbon qui fait du pays le plus gros émetteur de gaz à effet de serre dans le monde.

Suivez-nous sur WhatsApp

Restez informés

Recevez l’essentiel de l’actualité africaine sur WhatsApp avec la chaîne du «Monde Afrique»

Rejoindre

La plupart des projets de centrales thermiques africaines analysés par l’IEEFA sont pourtant plus coûteux que leurs équivalents propres, car il faut généralement créer des infrastructures ex nihilo pour extraire ou importer du charbon, créant ainsi une dépendance structurelle à long terme. Un tiers des centrales en construction sont des coentreprises sino-africaines, avec un accent croissant mis sur la rentabilité des projets pour Pékin, ce qui implique d’exporter du charbon en Afrique.

Lire aussi «La Chine ne peut s’empêcher de mêler commerce et politique en Afrique»

La plupart des acteurs chinois sont publics: la Banque chinoise de développement et l’Exim Bank pour les prêts, State Grid Corporation of China pour les infrastructures, State Power Investment Corporation et Huadian Corporation pour la partie de production d’électricité. L’Etat chinois est donc directement impliqué dans cette stratégie et devrait donner un autre cap dans un souci de protection de l’environnement.

Si la Chine veut véritablement devenir l’un des leaders mondiaux dans la lutte contre le réchauffement climatique et tenir les engagements pris lors des sommets internationaux, elle devrait le faire en priorité en Afrique où elle est aujourd’hui le seul pays capable de financer et construire des réseaux verts et ainsi investir dans l’avenir du continent.

Sébastien Le Belzic est installé en Chine depuis 2007. Il dirige le site Chinafrica.info, un magazine sur la Chinafrique et les économies émergentes.

Sébastien Le Belzic(chroniqueur Le Monde Afrique)

L’espace des contributions est réservé aux abonnés.

Abonnez-vous pour accéder à cet espace d’échange et contribuer à la discussion.

S’abonner

Voir les contributions

Réutiliser ce contenu

Le Monde Mémorable

Découvrir

Le génie Chaplin Personnalités, événements historiques, société… Testez votre culture générale La fabrique de la loi Boostez votre mémoire en 10 minutes par jour Offrir Mémorable Un cadeau ludique, intelligent et utile chaque jour Culture générale Approfondissez vos savoirs grâce à la richesse éditoriale du Monde Mémorisation Ancrez durablement vos acquis grâce aux révisions Le Monde Mémorable Découvrez nos offres d’abonnements

Lecture restreinte

Votre abonnement n’autorise pas la lecture de cet article

Pour plus d’informations, merci de contacter notre service commercial.

« En Afrique, la Chine investit surtout dans les énergies fossiles et polluantes » (2024)

FAQs

Quels sont les investissem*nts de la Chine en Afrique ? ›

L'influence économique chinoise en Afrique est notamment conduite par des investissem*nts dans les secteurs miniers et pétroliers, la construction d'infrastructures et le développement du secteur des télécommunications sur le continent.

Pourquoi la Chine investit elle en Afrique ? ›

Mais l'Afrique bénéficie aussi clairement de ces financements. Pour les Africains, les énormes liquidités chinoises sont une aubaine, car leurs besoins en infrastructures sont énormes et, une fois financés, soutiennent le développement économique des pays.

Quelle est la principale source d'énergie en Afrique ? ›

Le pétrole et le gaz se situent essentiellement en Afrique du Nord et dans les pays riverains du Golfe de Guinée ; l'Afrique australe bénéficie de la quasi-totalité du potentiel de charbon du continent ; les capacités géothermiques se concentrent en Afrique de l'Est et les bassins hydrauliques en Afrique centrale ; le ...

Pourquoi la Chine développe l'économie de l'Afrique ? ›

Cette présence grandissante de la Chine s'explique par la puissance économique et politique croissante de ce pays sur la scène mondiale, ainsi que par l'intérêt que porte la Chine au secteur des ressources naturelles de certains pays d'Afrique dans le but d'alimenter son expansion économique.

Dans quel pays africain la Chine investit-elle le plus ? ›

Les cinq principales destinations africaines des IDE chinois en 2022 étaient l'Afrique du Sud, le Niger, la République démocratique du Congo, l'Égypte et la Côte d'Ivoire . Pour les investissem*nts américains, il s’agissait de l’Égypte, de l’Afrique du Sud, de la Libye, de la Guinée équatoriale et de l’Angola.

Quelles sont les conséquences des investissem*nts chinois pour l'Afrique ? ›

L'aide chinoise à l'Afrique subsaharienne est en augmentation, couvrant des domaines tels que l'aide financière pour certains investisse- ments clés, l'allégement de la dette, le développement des ressources humai- nes, l'assistance technique et l'exemp- tion des droits de douane.

Quel est le rôle de l'État chinois en Afrique ? ›

L'engagement de la Chine en Afrique est à même de remplir bon nombre de conditions pour le développement des pays africains comme l'injection d'investissem*nts, l'amélioration des infrastructures, l'ouverture de nouveaux marchés et l'expansion de son capital humain.

L’Afrique dépend-elle de la Chine ? ›

L’Afrique subsaharienne a noué des liens économiques largement bénéfiques avec la Chine au cours des deux dernières décennies . La Chine est devenue le plus grand partenaire commercial de la région, un important fournisseur de crédit et une source importante d'investissem*nts directs étrangers (IDE). Cependant, le soutien de la Chine à l’Afrique a également fait l’objet de certaines critiques.

Quand la Chine a-t-elle commencé à investir en Afrique ? ›

Les IDE chinois vers l'Afrique ont augmenté à un rythme rapide depuis 2004 , lorsque le gouvernement chinois a adopté une série de mesures, notamment des fonds d'investissem*nt, pour encourager les investissem*nts à l'étranger.

Quel pays produit le plus d’électricité en Afrique ? ›

Le service public se classe parmi les 20 premiers services publics mondiaux en termes de capacité de production et est le plus grand producteur d’électricité en Afrique. Environ 95 % de l’électricité utilisée en Afrique du Sud et 45 % de l’électricité utilisée en Afrique sont produites par Eskom.

Qui fournit l'électricité à la Côte d'Ivoire ? ›

La Côte d'Ivoire, qui connaît une forte croissance économique depuis huit ans, a exporté en 2020 11% de sa production électrique via son réseau de 5 000 kilomètres de lignes à haute tension vers six pays voisins : Ghana, Togo, Bénin, Burkina Faso, Mali et Liberia.

Quel investissem*nt rapporte le plus en Afrique ? ›

1- Agriculture et Agro-industrie : L'agriculture reste un secteur crucial en Afrique, avec un fort potentiel de croissance. Les investisseurs peuvent tirer profit de la demande croissante de produits alimentaires, de l'essor de l'agro-industrie, et de l'adoption de technologies agricoles modernes.

Quelle place tient la Chine dans le commerce avec les pays africains ? ›

La Chine est aujourd'hui la plus grande partenaire commerciale des pays africains avec plus de 200 milliards de dollars par an d'investissem*nts. Selon le cabinet McKinsey, plus de 10 000 entreprises chinoises sont actuellement en activité sur l'ensemble du continent africain.

Quel est le pays qui investit le plus en Afrique ? ›

Les investisseurs européens restent, de loin, les plus grands détenteurs de stocks d'IDE en Afrique, menés par le Royaume-Uni (60 milliards de dollars), la France (54 milliards de dollars) et les Pays-Bas (54 milliards de dollars).

Top Articles
Latest Posts
Article information

Author: Frankie Dare

Last Updated:

Views: 6296

Rating: 4.2 / 5 (73 voted)

Reviews: 88% of readers found this page helpful

Author information

Name: Frankie Dare

Birthday: 2000-01-27

Address: Suite 313 45115 Caridad Freeway, Port Barabaraville, MS 66713

Phone: +3769542039359

Job: Sales Manager

Hobby: Baton twirling, Stand-up comedy, Leather crafting, Rugby, tabletop games, Jigsaw puzzles, Air sports

Introduction: My name is Frankie Dare, I am a funny, beautiful, proud, fair, pleasant, cheerful, enthusiastic person who loves writing and wants to share my knowledge and understanding with you.