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  • Économie

Deux camps s’affrontent quant aux solutions à mettre en œuvre pour développer la monnaie virtuelle.

ParYves Eudes

Publié le 18 mars 2016 à 11h17, modifié le 23 mars 2016 à 09h59

Temps de Lecture 4 min.

Victime de son succès, le bitcoin fait face à une crise de croissance, qui se double d’une crise de gouvernance. Pour les professionnels et les militants de la monnaie anonyme, l’augmentation continue de la masse monétaire et du nombre de transactions est plutôt une bonne nouvelle – la preuve que la cryptomonnaie s’installe dans le paysage financier mondial. En mars2016, les 15,5millions de bitcoins en circulation valaient plus de 6milliards de dollars. Cependant, dans sa configuration actuelle, le réseau du bitcoin va bientôt saturer, ce qui risque de provoquer des embouteillages et une dégradation du service.

Pour tous les acteurs, la solution est évidente: il faut introduire des innovations techniques qui permettront au réseau d’absorber plus de trafic. Mais comment s’y prendre? Sur la méthode à adopter, les avis divergent. Depuis quelques mois, on a vu apparaître deux camps opposés, qui s’affrontent ouvertement.

«Méthode rapide» contre «méthode lente»

Les partisans d’une solution rapide et facile veulent augmenter la taille des «blocs», ces fichiers contenant les transactions, qui viennent s’ajouter à la «blockchain» (chaîne de blocs), le répertoire unique de toutes les transactions. Aujourd’hui, la taille maximale d’un bloc est de 1 mégaoctet, ce qui peut représenter jusqu’à 3000 transactions. En théorie, il suffit de faire passer la taille des blocs à 2Mo, pour résoudre le problème, au moins temporairement.

Récemment, les partisans de cette «méthode facile» ont créé un groupe informel, baptisé Bitcoin Classic. Il réunit notamment des développeurs historiques du bitcoin et une trentaine de sociétés commerciales: des «mineurs», qui intègrent les nouvelles transactions à la blockchain en résolvant des équations mathématiques et gagnent des bitcoins pour chaque nouveau bloc, ainsi que des gestionnaires de portefeuille, des sites de change, des prestataires techniques…

En face, un autre groupe, composé en grande partie des codeurs de l’équipe originelle, Bitcoin Core («noyau dur»), préconise une approche plus graduelle et plus «élégante». Selon eux, au lieu d’augmenter la taille des blocs, il est plus judicieux de diminuer la taille de chaque transaction. Les Core ne sont pas opposés par principe à l’augmentation de la taille des blocs, mais ils veulent d’abord effectuer les tests nécessaires pour s’assurer que cette modification ne provoquera pas de perturbations imprévues. Ils craignent notamment qu’elle affecte la fluidité du trafic: dans ce cas, les gros prestataires disposant de connexions à haut débit seraient avantagés par rapport à leurs petit* concurrents moins bien équipés.

En outre, pour accroître durablement les capacités du réseau, les Core souhaitent créer des «sidechains», des «chaînes latérales» rattachées à la blockchain originelle, qui géreraient les micro-transactions. Dans ce système à deux couches, la blockchain originelle servirait surtout à effectuer les grosses transactions et les opérations de compensation. De leur côté, les Classic préfèrent conserver le système de la blockchain unique. Le désaccord est donc complet.

Enjeux économiques majeurs

Le combat est âpre, car le débat technique cache des enjeux économiques. Eric Larchevêque, directeur de la société de sécurité Ledger et responsable de la Maison du Bitcoin à Paris, qui est partisan des Core, résume sa vision des choses: «La raison d’être du bitcoin est de fournir un système monétaire égalitaire et décentralisé, en peer-to-peer, ce qui le rend très résistant aux attaques et aux tentatives de censure par des gouvernements autoritaires – par exemple, en ce moment, la Russie. Les Core sont restés fidèles à cet idéal originel – celui des militants du logiciel libre et des crypto-anarchistes.» En revanche, selon lui, les Classic ont d’autres priorités: «Il y a parmi eux des hommes d’affaires qui voudraient transformer le bitcoin en un système de paiement banalisé et centralisé – comme s’ils voulaient concurrencer Visa.»

Les partisans du Classic affirment au contraire que leur solution va préserver la libre concurrence. Un développeur historique du bitcoin, Gavin Andresen, explique sur son blog que si on laisse le réseau arriver au point de saturation, cela provoquera un mouvement de concentration: «On verra apparaître des accords très centralisés entre les bureaux de change, les mineurs et les marchands, ou même une fusion des mineurs et des créateurs de transactions.»

De même, Brian Armstrong, patron de la société de gestion de portefeuilles Coinbase, qui compte une centaine d’employés, accuse les Core d’être des puristes irréalistes: «Ils veulent des solutions “parfaites” plutôt que des solutions “correctes”. Et s’il n’y a pas de solution parfaite, ils préfèrent l’inaction, même si cela met le bitcoin en danger.» En outre, selon lui, la solution consistant à réduire la taille des transactions est très complexe, et sa mise en place prendra trop de temps pour empêcher la saturation du réseau. Très offensif, il va jusqu’à envisager la création d’une nouvelle équipe de codeurs pour remplacer les Core.

Désaccord persistant

Malgré plusieurs réunions de conciliation, les Classic et les Core n’ont pas réussi à se mettre d’accord. Eric Larchevêque constate que la communauté du bitcoin est dépourvue de mécanismes de décision efficace: «Nous n’avons pas de système de vote majoritaire ni de processus de résolution des conflits. La règle du consensus informel est paralysante.»

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Pour sortir de l’impasse, chaque camp est passé à l’action de façon unilatérale. En février, les Classic ont publié un logiciel qui accroît la taille des blocs à 2Mo. S’il est adopté par 75% des parties prenantes, il s’imposera de facto comme le nouveau standard, et le réseau basculera.

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De leur côté, en avril, les Core vont publier leur propre programme, qui réduira la taille de chaque transaction. Par ailleurs, certains membres du Core travaillent pour la société canadienne Blockstream, leader de la technologie de la sidechain. Blockstream vient de réussir une levée de fonds de 55millions de dollars (49millions d’euros), qui a permis au groupe français Axa d’entrer au capital.

Face à ce conflit inédit, Eric Larchevêque est inquiet: «L’un des deux camps va peut-être l’emporter rapidement, mais on peut aussi imaginer un scénario où chaque système serait adopté par 50% des acteurs. Ce serait le chaos, la cassure du réseau en deux sous-ensembles, avec des conséquences incontrôlables.»

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